En quête d’intime, note de synthèse

Pourquoi l’intimité en milieu hospitalier ?

En quête d’intime, c’est un projet en plusieurs étapes, qui traite de l’intimité en milieu hospitalier. Il s’est construit en parallèle du mémoire que j’ai pu écrire lors du cinquième semestre de la formation en DNMADe d’innovation sociale. Il questionne : comment le design peut-il favoriser l’intimité des personnes en situation de handicap au moment de la toilette ? Son écriture a été possible grâce aux multiples témoignages de personnes que j’ai rencontré durant cette formation, mais aussi grâce à La Fabrique de l’Hospitalité, laboratoire d’innovation au sein des HUS, qui m’ont permis d’être en lien avec des professionnel.le.s de santé. Tout comme le mémoire, mon projet s’est construit avec, et pour les personnes ayant partagée leurs expériences.

Pour recontextualiser le choix de cette thématique (l’intimité en milieu hospitalier), il me paraît important de repréciser les acceptions du handicap et de l’intimité sur lesquelles j’ai choisie de travailler. Le handicap est défini comme l’incapacité d’accéder à des activités, ou d’être restreint dans la participation à la vie en société due à une altération physique, psychique, cognitive ou mentale. Cette limitation peut être aperçue aussi comme un environnement non adapté aux différences de chacun, où les designer.eure.s peuvent agir directement. La présence d’une personne dans un institut hospitalier (si elle n’est pas professionnelle) témoigne d’un handicap plus ou moins partiel. Dans ces situations, l’individu est rendu vulnérable par un élément qui altère sa santé. L’intimité est plus difficile à définir puisqu’elle est subjective et individuelle. Cependant, elle est essentielle à la construction de chacun, et nous choisissons en tant que sujet, à qui et comment nous voulons bien la partager. Elle se joue sur le plan spirituel, sur ce que nous choisissons de dévoiler, mais passe aussi par la pudeur physique. À l’hôpital, le corps est l’extériorisation de l’intimité de la personne et en même temps le lieu du soin médical, c’est un lieu de travail mais aussi un lieu de vie, on comprend qu’il devient facilement un lieu où se cristallisent des difficultés quant au maintien de l’intimité.

J., étudiante en psychologie et ancienne infirmière, en témoigne lors de notre rencontre : L’intimité, c’est vraiment quelque chose d’éminemment subjectif, singulier et personnel, ce qui est intime pour moi n’est pas forcément intime pour toi. Ça fait référence à l’autre, ce que tu peux, ce que tu veux montrer, ce qui te gêne, ce que tu voudrais voiler, et en même temps tu choisis certains autres, tes ami·e·s, tes amoureux·euse·s, autour de toi, tu leur partages une partie de ton intimité. Et là, je fais le lien avec les milieux de soins, parce que souvent dans les milieux de soins c’est une intimité un peu forcée, contrainte, les personnes ne souhaitent pas se retrouver à l’hôpital et elles sont exposées au regard des autres, et parfois il y a quelque chose qui t’est pris.  Il me semblait alors nécessaire de travailler sur l’intimité en milieu hospitalier, notion oubliée et invisibilisée, mais rendu possible par le travail et l’humanisme des professionnel.le.s de santé.

Envieuse de traiter l’intimité dans chacun de leurs projets, Christelle, Anne et Anne-Laure, designeures à La Fabrique de l’Hospitalité me proposent de permettre quelque chose, une « échelle de l’intimité », qui leur permettrait de penser à la place l’intimité dans chacun de leurs projets, qui sont pour la plupart en milieu hospitalier. Elles me mettent en lien avec différent.e.s professionnel.le.s de santé afin de discuter avec elles de l’intimité en milieu hospitalier. Mon projet débute alors par de multiples rencontres.

Marquée par « Tools for thérapie » de Nicolette Bodewes, et convaincue que des sujets difficiles à aborder, tel que l’intimité nécessitent un soutien matérielle pour permettre leurs verbalisations, je décide d’élaborer des outils de parole pour chaque personne que je suis amenée à rencontrer dans le cadre de ce projet. Je fonctionnais ainsi pour chaque entretien : j’élaborais au préalable un outil, puis je rencontrais la personne. D’abord nous nous présentions, je lui demandais si c’était possible d’enregistrer l’audio de notre conversation. En suite, nous utilisions ensemble les outils. Après chaque rencontre, j’écrivais le verbatim des enregistrements avant de le renvoyer à la personne pour qu’elle le valide. Je me suis ainsi rendu compte que lorsque je rencontrais des personnes grâce aux liens faits avec La Fabrique de l’Hospitalité, elles effectuaient beaucoup « d’auto-censure ». Il était important pour moi de donner à voir cet acte, qui je pense relève de nombreux tabous et complication dû à la mise en place de l’intimité en milieu hospitalier. Le carnet Verbatim recense toutes les entretiens validés. Lorsque les personnes ont modifié leurs paroles orales à l’écrit, on retrouve à la fin de leurs chapitres un paragraphe jaune et illisible de leurs paroles à l’état « brut ». (ce n’est pas possible de faire cela sur le pdf en ligne, il serai trop facile de rendre lisible ce texte.)

Livre, retranscription verbatim

Quels outils pour enquêter ?

Le premier outil a été élaboré pour F. Et A., formateur et formatrice de santé à L’IFP. Il était composé d’une dizaine de cartes illustrées, avec des mots en lien avec l’intimité et de quelques questions. Je posais les questions et A. et F. Y répondaient à l’aide des illustrations, en énumérant chaque carte pour y répondre. De cette discussion est restée différents témoignages qui m’interpellaient : Je me dis que c’est aussi une construction culturelle, il y a des sociétés où l’on peut être nu·e. Nous sommes amené·e·s à croiser des personnes qui ne sont pas de la même culture que la nôtre. Pour certain·e·s patient·e·s les zones du corps intime sont différentes des nôtres. Par exemple : certaines personnes vont ramener leur drap sur les pieds, alors que le/la soignant·e le ramène sur la poitrine ! C’est au soignant d’être attentif à ça, de comprendre où se situe le besoin d’intimité de l’autre…

Je rencontre avec le même outil mais augmenté, S. Sy. Et R. Qui sont infirmières et aide soignante au CAMPA. Aidé par Anne-Laure je met mon atelier en place : j’y ai ajouté plus de cartes illustrés (à présent il y’en à 45 avec des thermes plus ou moins en lien avec l’intimité, tel que « cigarette », « café », « lumière »), et à chaque questions posé je leurs demande d’y répondre par 5 cartes maximums. Elles m’ouvre les yeux sur des aspects de l’intimité auxquelles je n’avait pas pensé, et notamment une phrase imagé qui me touche : Les secrets, c’est important. Il faut pouvoir les entendre, les recevoir, les affiner et savoir quoi en faire. Les garder, ou les partager quand c’est vraiment nécessaire. On est des journaux intimes vivants! Né alors l’idée de partager ces images, ces phrases qu’elles m’apportent, de les mettre en valeurs, je commence à les illustrer.

Je continue mes rencontres, et prends rendez-vous avec C., aide-soignante en rhumatologie. Seulement le confinement arrive vite, et nous pouvons juste nous appeler. Je décide de mettre les illustrations en ligne, et nous nous appelons. À la fin C ; me parle des étudiant.e.s quel accueil en stage : Dans mon travail, j’essaie de me remttre au maximum en question ! C’est important pour tout le monde, et quand des étudiant.e.s viennent en stage je leur dit souvent : n’hésite pas à me dire si je fais quelque chose qui te choque !

scénario d’usage des cartes illustrées

Après ces rencontre il me semble intéressant de rencontrer des étudiant.e.s en soins pour comprendre comment l’intimité est abordée avec eux et comment ils le vivent, ainsi que des personnes étant arrivées récemment dans le milieu hospitalier. En effet, lors du premier entretien A. et F . me parlent des nombreux changements autour de l’intimité lors de ces dernières années. Je rencontre alors La., étudiante à l’IRFP, d’Erstein, elle vient de commencer ces études et à déjà effectuer son stage en Ephad. Nous échangeons avec un outil composé de tampons, et de fiches sur lesquels les personnes interrogées peuvent intervenir. Il reprend le même principe que le premier outil : on y retrouve des mots associés à des images, et des questions. La. me fait comprendre que certains pan de l’intimité sont difficiles lorsque l’on est jeune : Quand les infirmier·ère·s n’avaient pas besoin de moi, j’allais voir les patient·e·s, je leur parlais, dix, quinze minutes! Après, c’est difficile de partir… Un patient m’avait offert des chocolats à Noël, les Lindt, ceux que j’aime trop. Je l’avais aidé à décorer ses emballages cadeaux, et sa chambre ! J’ai appris il n’y a pas longtemps qu’il est décédé du Covid, ça m’a touché. Elle me parle aussi de ses réticences à effectuer des toilettes intimes aux hommes.

Lisa, jeune infirmière rencontrée plus tôt, avec le même outil, me partage aussi ces problématiques : Pour ce qui est de la toilette intime, au début ce n’était pas évident: tu es là, tu as 18 ans et tu dois faire la toilette intime de personnes qui ont 70 ans de plus que toi, ce n’est pas quelque chose d’inné. Ce qui m’a aidé, c’est de me dire que c’est plus difficile pour la personne, et que surtout c’est pour lui faire du bien. Ce serait pire de la laisser dans ses selles, dans l’urine. Donc l’aider à faire sa toilette, ça lui apportera quelque chose, rien que pour de l’estime de soi.

scénario d’usage des tampons

J. une étudiante en psychologie, qui avant était infirmière me partage aussi ses problématiques de jeunes soignant.e.s : Quand on arrive à l’hôpital en tant que jeune soignant.e, il y a vraiment des relations de verticalité, que ce soit dans les professions mais aussi dans les actions que l’on prodigue, et par exemple en tant qu’étudiant·e infirmier·ère, c’est les soins d’hygiène et de confort que l’on fait en premier. Comme si c’est bon tu viens d’arriver, tu peux au moins faire une toilette! Comme si ce n’était pas important, alors que c’est un soin dans lequel il se joue plein de trucs.

Nous avons discuté ensemble grâce à un outil d’empreintes, où les illustrations représentaient un mot plus ou moins claire de l’intimité sur un bout de bois, l’objectif était qu’elle place l’outil en dessous de la feuille et qu’elle annote l’illustration. Il me paraissait important que la personne soit impliquée dans son expérience en tant qu’individu, d’où mon intérêt de mettre le prénom sur les fiches.

scénario d’usage empreintes

 

Après toutes ces rencontres, avant de répondre à la demande de la Fabrique de l’Hospitalité il me semblait important de rendre quelque chose aux personnes, pour les remercier, et valoriser leurs paroles et expériences. De rendre l’intimité à l’hôpital visible, de donner à voir ce travail invisible que toutes ces personnes effectuent, et de permettre de mettre leurs expériences en résonance, de les faires se rencontrer par leurs paroles, les un.e.s avec les autres, pour créer du commun. Inspirée par les illustrations de Chacoco, et le projet « ressentis en couleur », j’ai décidé de faire une édition avec des citations de témoignages illustrés, que je donnerai à chaque personnes ayant participé au projet. Né alors l’édition Chorégraphie, inspiré d’une phrase de A. : Lors du visionnage de films présentant l’approche Piklerienne dans les soins à l’enfant, les formateur·trice·s relèvent le temps d’arrêt entre la parole et l’action de l’infirmi·er·ère: c’est un peu comme une chorégraphie! Quand on voit un·e danseur·euse sur scène, on a l’impression que tout est fluide, ça paraît naturel, en réalité il y a un gros travail en amont! Ma volonté graphique était de renvoyer à une notion de bienveillance, de précieux, d’intime, comme tout ce que les différentes personnes ont pu me communiquer.

chorégraphie édition

Pour répondre à la demande de La Fabrique de l’Hospitalité, il me semblait important de ne pas hiérarchiser les différents notions de l’intimité que j’ai pu découvrir et aborder, car il m’est vite paru évident qu’elle était une notion subjective et individuelle. J’ai décidé de faire des cartes de constats à partir de chaque témoignage. Ces cartes peuvent être utilisées de manière pluriels, à différentes étapes d’un projet d’innovation sociale Avec ces cartes est transmis : un dépliant recensant les différentes étapes d’un projet d’Innovation Sociale, ainsi qu’une proposition de scénario d’usage des pochettes, des étiquettes, et une grille téléchargeable grâce à une carte sur laquelle figure un QR code.