Les paroles (des) connectés

De la recherche au projet

Après un travail de recherche centré autour de la problématique suivante: Quelle est la place des femmes dans les fablabs?, je me suis tournée, pour mon projet, vers un questionnement quelque peu différent. Les raisonnements finaux de ma recherche sont que le problème du manque de femmes dans les fablabs découle d’une habitude sociale dirigeant les hommes plus que les femmes vers des domaines comme l’ingénierie, les sciences et le bricolage.  Les adultes étant déjà trop imprégnés de ces habitudes sociales, je me suis tournée vers un autre public, les enfants. Comment aborder avec des enfants les problèmes d’inégalité de genre par l’éducation au numérique, la conception et la création? Pour tenter d’intéresser les filles aux activités liées au numérique et de faire comprendre aux garçons l’importance de travailler en groupe et encore plus en groupe mixte, il me faut développer un projet qui les implique directement.

Partenariat

Pour m’aider lors de ce projet, j’ai établi un partenariat avec une structure qui réalise de l’éducation au numérique pour les jeunes. Depuis fin avril 2022, le Déambu’Lab est installé dans une salle du Phare de l’Ill, le centre socio-culturel implanté en banlieue d’Illkirch. Le Déambu’Lab est un fablab ambulant qui se déplace de commune en commune pour éduquer les citoyens au numérique. En réalisant ce partenariat, j’avais donc un lieu pour réaliser mon projet avec le public que je jugeais idéal pour participer et j’avais une aide de professionnels dans le secteur du numérique.

Déroulé du projet

Dans un premier temps, j’ai observé quelles activités proposait le Déambu’Lab lors de ses permanences au Phare de l’Ill et quelle implication avaient les jeunes lors de ces activités. J’ai mené une brève enquête concernant les attentes des jeunes présents à ce moment là en leur demandant directement leur avis. J’ai engagé une réflexion sur deux sujets à partir d’un tableau en carton épais (en reprenant la carte graphique du Déambu’Lab) : ce qu’ils ont appris au Déambu’Lab et ce qu’ils aiment faire au Déambu’Lab. En écrivant des réponses eux mêmes, ils avaient une liberté totale d’expression et leurs réponses étaient personnelles. Les jeunes qui étaient présents à ce moment là au Déambu’Lab avaient entre 6 et 10 ans, ce n’était donc pas spécifiquement la tranche d’âge que je visais initialement pour mon projet (environ 12 ans). Cependant, cela m’a tout de même permis de comprendre quelles étaient leurs envies et leurs goûts. Les réponses montrent que de manière générale, ils ont davantage préféré réaliser des prototypes en 3D plutôt que d’apprendre le code via le site pédagogique et ludique “Comput it”. Après une heure de travaux sur ordinateur, ils étaient dissipés et avaient globalement envie de partir.

J’en ai conclu que faire de l’éducation au numérique en passant par des ordinateurs sur lesquels chacun agit de manière personnelle était une activité qui comportait des limites: la concentration des jeunes est très variable. 

J’ai donc décidé que mon projet devrait permettre aux jeunes de manipuler et de parler entre eux tout en gardant un aspect lié au numérique de manière à ce qu’ils soient davantage impliqués et contents de participer au projet. La discussion et le débat augmentent donc les chances de collaboration entre chacun.

Lors de cette première phase d’immersion au sein du Déambu’Lab et du centre socio-culturel, j’ai pu entendre des réflexions misogynes de la part de jeunes garçons visant des jeunes filles. Comme l’éducation à l’égalité de genre était également un sujet abordé lors de ma recherche, j’ai voulu reprendre certaines de ces notions dans mon projet.

Dans un deuxième temps, j’ai réalisé deux jeux de cartes permettant d’engager une discussion à propos de sujets plus ou moins sensibles liés au genre, à l’égalité homme/femme, aux clichés… Six jeunes de 12 ans étaient présents pour cet atelier, ils furent séparés en deux groupes mixtes. Un animateur avait la responsabilité d’un groupe et moi de l’autre. Notre rôle était ici de montrer les cartes unes par unes et de développer la discussion si le sujet abordé était compliqué à comprendre pour les participants. En montrant premièrement des images de personnes peu connues, j’invitais les jeunes à émettre un jugement sur ce qu’ils voyaient. Une fois toutes ces cartes montrées, le deuxième jeu de cartes était dévoilé dans lequel cette fois-ci, des personnalités connues cassaient les codes de genre. Il est ici intéressant de voir leurs changements d’avis en fonction de la personne qui se trouve sur la carte. Un homme avec une robe était “ridicule”selon certains tandis qu’un rappeur américain en robe longue ne l’était pas.

Les conversations des deux groupes furent enregistrées. Les enfants ont pu comprendre comment se servir d’un micro semi professionnel.

Ces enregistrement me servent ensuite à développer la partie suivante du projet. J’ai donc décidé de réaliser des tableaux d’exposition avec les jeunes. Les visuels seraient à connecter avec les audios récoltés lors de la phase précédente.

Entre temps, j’ai travaillé les fichiers audios seule pour avoir de courtes pistes relevant un fait à la fois. Les jeunes n’ont pas participé à cette étape car c’est un travail fastidieux qui demande trop de temps par rapport à celui que je pouvais consacrer à la réalisation de mes ateliers avec eux. De plus, leur temps de concentration étant variable, je ne pouvais pas être certaine d’avoir finalement un travail abouti.

Dans un troisième temps, j’ai réalisé trois tableaux d’exposition. Le but est ici d’imaginer un support permettant de laisser un maximum de possibilités dans le placement des éléments exposés. J’ai ensuite réparti chaque audios en fonction des thèmes qu’abordaient les trois tableaux.

  • Tableau 1 “Rose ou bleu?” : La couleur des vêtements, le vernis à ongles et le maquillage.
  • Tableau 2 “Je me sens bien quand…” : les métiers genrés.
  • Tableau 3 “Aujourd’hui, c’est pantalon ou jupe?” : les jupes/pantalons et les cheveux courts/cheveux longs.

J’ai imaginé des boîtes permettant d’écouter chaque audios associés aux thèmes des tableaux. Les participants, plus nombreux cette fois (8 jeunes), devaient, par un système de jetons, décréter ensemble s’il s’agissait à chaque audios d’un “avis construit”, d’une “critique gratuite” ou d’une “anecdote”. Par la même occasion, ils découvraient le principe de fonctionnement d’une Bare Conductive, une carte permettant de connecter les sons avec le toucher. Cette partie découverte permettait d’introduire doucement cette logique de fonctionnement et les jeunes ont pu observer les branchements qui étaient déjà établis.

Un jeu de cartes était également mis à disposition des jeunes pour les guider dans les différentes étapes pour mettre en place l’exposition. Il n’a finalement pas été utilisé car tous les participants avançaient différemment dans la conception alors que les cartes respectaient un ordre précis.

Après la prise de connaissance du système de fonctionnement de la Bare Conductive, les participants ont changé les branchements auparavant faits sur les boites d’écoutes des enregistrements pour les placer sur les tableaux d’exposition.

Ils ont ainsi choisi les audios qu’ils voulaient mettre en valeur sur leur tableau et acquis une connaissance supplémentaire dans le numérique à partir d’un élément (Bare Conductive) qu’ils ne connaissaient pas. Sur les trois tableaux, deux étaient mis en forme par des équipes de filles. Le tableau qu’avaient choisi les garçons fut celui qui a été le plus vite délaissé.

Retour sur atelier

L’atelier a duré environ 01H30 et dans l’ensemble, chaque participant a émis son avis et a fait au moins un branchement. Mes objectifs qui étaient la mise en place d’un outil permettant de réaliser de l’éducation au numérique, la collaboration et le travail de groupe et enfin la remise en question, la prise de parole et la récolte d’avis à propos des clichés de genre ont dans l’ensemble été atteints. Cependant, il serait pertinent de faire un travail en continu avec des ateliers réguliers pour réellement avoir un impact sur la manière dont les clichés sont perçus par les participants. L’une des contraintes que je m’étais fixée était également de s’intéresser au numérique sans forcément passer par l’ordinateur sur lequel on agit de manière individuelle. La Bare Conductive était donc un bon outil de départ pour amener le numérique hors de l’ordinateur. De plus, le travail de montage de sons que j’ai réalisé seule sur ordinateur aurait pu être exploité pour réaliser un autre atelier avant l’atelier d’exposition. J’ai préféré ici me concentrer sur la partie “récolte d’avis” en atelier 2 et “mise en place d’une expo” en atelier 3 et non sur la partie travail du son mais il semble pertinent avec plus de temps de développer cette partie là pour qu’elle s’intègre d’autant plus dans le projet.