Écrin d’histoires, note de synthèse

 

 “L’enjeu est de créer les conditions qui permettent au vieillard, par delà les adaptations nécessaires, de rester fidèle à soi-même.”

-Paul Ricoeur

 

L’ensemble de mes recherches théoriques m’ont conduit à formuler une problématique qui s’articule autour de 3 éléments :   

  • L’isolement social des seniors peut être limité par des relations intergénérationnelles riches et fécondes pour toutes les générations qui se rencontrent.
  • Le designer peut favoriser et faire fructifier la richesse de ces rencontres.
  • Des activités communes peuvent être le fondement de ces croisements.

 

Le projet se focalise plus principalement sur les questionnements autour de la création commune accompagnant la création de la relation. 

Écrin d’histoires est donc le fruit d’un travail fait en parallèle de l’article de Agatha Zielinski sur l’éthique du care qui a permis une entrée en matière sur la démarche de designer à adopter. Cet article met en avant différents enjeux de l’éthique du care qui sont à prendre en compte au sein du projet. 

Notamment, l’importance portée à la singularité du soin qui permet la création d’une réponse adéquate et adaptée au contexte. 

En effet, la démarche possède plusieurs étapes dont l’empathie et la sollicitude qui sont toutes deux essentielles, il s’agit de constater le besoin en s’identifiant à la personne et d’ainsi pouvoir l’évaluer au mieux. Puis, suit la prise en charge avec l’action faite en fonction du besoin identifié tout en gardant l’attention sur la faisabilité, l’utilité et sur la pérennité du projet. Il est ensuite question de prendre soin en procurant efficacement cette solution en étant attentif à la réaction du récepteur. Le projet se doit de répondre au soin qui n’est possible qu’en étant préoccupé de sa réussite.

 

Objectifs du projet

Après les observations et les discussions, le projet se centre sur différents points clés. 

Le projet se doit d’inscrire la personne âgée dans une temporalité afin qu’elle ne soit pas déconnectée d’un quotidien. La datation est donc centrale et permet de situer un événement la personne âgée en fonction du temps. 

Il se doit, par la même occasion, de permettre à la personne âgée de s’exprimer sur des ressentis mais aussi des envies. Il s’agit de se remémorer des moments et d’en exprimer des pensées mais aussi de se projeter dans un futur proche en parlant des désirs. 

Enfin, il doit permettre de se souvenir des activités faites en duo des semaines passées afin de se remémorer les choses faites dans le passé proche, un moyen de faire travailler sa mémoire.

 

Terrain d’enquête

Le terrain étudié se situe au domicile de la personne âgée. Les visites se font hebdomadairement et sont inscrites dans le cadre de la lutte contre l’isolement social des personnes âgées. La relation entretenue par le duo est profonde, impliquée, précieuse et intime.

Mais avant l’explication du projet, il s’agit de faire un point sur la posture de designer au sein de la relation de soin.

 

Quelle est la démarche de designer au sein du projet ?

L’éthique du care implique une attention particulière portée à la personne concernée. Elle nécessite la prise en compte de la sensibilité qui engendre alors une remise en question et donc une attitude empathique. Apprendre à connaître la personne, à comprendre son vécu est éminent au sein de la relation de soin. L’empathie permet d’arriver au stade de compréhension de la personne, au stade où l’on arrive à partager et à ressentir des émotions. Cette identification à l’autre n’est possible qu’en ayant soi-même une remise en question sur notre perception du besoin. La compréhension du besoin s’affine en fonction de la personne qui reçoit le soin. De plus, le caractère de la personne joue, non seulement, dans la connaissance approfondie du besoin mais aussi dans la rapidité à laquelle on peut agir.

Une fois identifié, le besoin nécessite qu’on s’y intéresse et qu’on s’en rapproche afin d’en comprendre le caractère singulier. Cette caractéristique peut être mise en lien avec l’article De l’universel au singulier: prendre soin «des » vieillissements de Roxane Andrès. Elle aborde la notion du soin pratiqué dans le cadre du domicile des personnes âgées en questionnant la marge de manœuvre du designer lorsqu’elle concerne l’intimité du chez soi. Se pose donc la question du design universel ainsi que celle du design des singularités. Il est important de ne pas réduire les personnes âgées seulement au vieillissement. Au contraire, il s’agit d’augmenter la considération sociale attachée à la vieillesse. 

La problématisation du projet Écrin d’histoires se construit alors : Comment agir en adoptant une démarche liée à l’éthique du care en étant attentif aux parcours singuliers tout en faisant un projet de design qui reste inclusif ? 

En plus de la prise en compte de la singularité des sujets, le projet se doit de ne pas réduire au résultat du projet mais aussi à la façon dont la solution et le processus ont été mis en place. Ces aspects sont non négligeables et vont dans le sens du “prendre soin”. De plus, les effets du soin ont un impact sur l’estime de soi de la personne qui le reçoit. Ils ont une influence sur l’ouverture à l’intimité, à la discussion sur la vie passée ainsi qu’à la facilité d’accueillir au sein du chez-soi. Il en ressort une confiance qui s’installe au fur et à mesure et qui permet une entrée en matière plus importante pour ce qui est de l’analyse du besoin. De plus, l’éthique du care permet de mettre en avant la dimension de la vulnérabilité. Il nécessite l’inclusion de sa propre vulnérabilité mais aussi l’apprentissage vers la meilleure solution à apporter au besoin. Le temps, l’attention et l’écoute sont donc essentiels. 

La relation de soin incite les personnes concernées à être interdépendantes. En effet, le donneur et le récepteur ne peuvent être réduits qu’à ces termes. Le care permet une réciprocité qui engendre une action du duo. Le destinataire du soin est lui-même acteur de sa lutte contre l’isolement social rien que par la décision de voir quelqu’un hebdomadairement mais aussi par sa façon de s’impliquer dans les activités faites avec ce nouvel ami. Idéalement, la finalité de la relation de soin devrait être la résolution du besoin. Cependant, au niveau relationnel, le besoin se fait sur la durée, l’humain nécessite du lien social. Le projet contient donc un questionnement sur la pérennité de la relation et ainsi que sur la solution liée au besoin. Le bénévole ne peut rester indéfiniment mais le projet peut permettre la création d’un souvenir sous forme matérielle afin de pérenniser la relation. 

La dernière question à se poser est donc : Comment le design peut-il intervenir au niveau du soin relationnel et en permettre la pérennité ? 

L’accompagnement de la relation est un bon moyen de souder un lien mais aussi d’en créer un point commun. 

 

Le projet

Le projet Écrin d’histoires est un kit expérimental qui permet au bénévole et à la personne âgée de créer un journal intime à deux. Le dispositif est composé de différents outils. 

 

 

En premier, il y a l’outil de dialogue qui est représenté par des cartes où sont écrites des questions personnelles. Son utilisation se fait lors des premières visites pouvant permettre au duo d’apprendre à se connaître. Ce premier outil a pour but l’entrée en matière dans la relation amicale.

 

 

Ensuite, il existe les outils de souvenir qui permettent la retranscription des moments passés lors des visites. Il en existe plusieurs afin de représenter au mieux les anecdotes : ils sont basés sur la représentation d’une image globale par des images ou des écrits. Ces outils ont pour but l’inscription de la personne âgée dans une temporalité. Chaque visite amène, en effet, le duo à créer une feuille de retranscription datée. Ces images des visites faites au fur et à mesure de la relation permettent non seulement la matérialisation de la relation mais aussi la possibilité à la personne âgée de se souvenir des moments passés. Il s’agit donc d’un travail sur la mémoire à court terme. 

 

 

Enfin, les outils d’expression permettent à la personne âgée et au bénévole d’écrire dans des enveloppes : ce qu’ils ont bien aimé de la visite et ce qu’ils aimeraient faire / discuter lors de la visite prochaine. Ces enveloppes sont remises à l’autre leur permettant d’avoir un lien, même durant la semaine. Cet outil permet aux deux de pouvoir s’exprimer tant au niveau du ressenti qu’au niveau des envies, aspect peu étudié lors du vieillissement d’une personne. Il s’agit donc de leur permettre des mots sur des émotions tout en leur permettant de se projeter dans un futur proche.