Outil d’exploration

Cet atelier a été proposé dans le cadre de ma recherche-projet sur la question de la vieillesse. Ma question de recherche est : comment lutter contre l’isolement social en favorisant les relations intergénérationnelles?

 

But de l’atelier

L’objectif de l’outil de contact est d’ouvrir la discussion sur le terme de vieillesse avec des jeunes.   

Il s’agit donc de récolter des anecdotes ou des expériences de la part des participants. 

Le plus important est de laisser la possibilité aux participants de raconter des histoires qu’ils ont vécues ou qu’ils vivent actuellement. 

 

Comment ?

Afin de déclencher la parole, le dispositif proposé aux participants vise à activer les 5 sens : l’ouïe, le toucher, le goût, la vue et l’odorat. La dernière colonne concerne l’âge où la question est : à quel âge considères-tu qu’une personne est âgée?

L’aspect sensible est intéressant pour ouvrir la discussion. En effet, le participant peut se reposer sur une sensation pour se livrer. Les propositions faites pour chaque sens lui permettent de chercher dans ses souvenirs. Il peut ainsi exprimer des similitudes avec son vécu. 

L’outil est donc composé d’un plateau en bois avec 6 compartiments comportant soit des coupelles, soit des carreaux de céramique. Les coupelles correspondent aux sens goût et odorat. Les autres sont représentés par de simples carreaux. 

Chaque sens présente 6 propositions. Pour la vue, le participant doit choisir entre différentes couleurs : bleu foncé, bleu clair, beige, orange, vert foncé et rose clair. L’odorat est composée d’huiles essentielles et d’épices. Pour le goût, il y a du raisin, des noix, des cacahuètes, des biscuits secs, du chocolat ainsi que de la confiture. Le toucher est matérialisé par les différents reliefs faits sur la céramique (voir photo). Pour l’ouïe, les sons sont activés au moyen d’une barre conductrice placée sous le plateau de bois. On peut entendre la cloche d’une église, un cours d’eau, la sonnerie d’un vieux téléphone, les chants d’oiseaux dans la nature, le son d’une vieille radio, et d’un réveil. Pour finir les âges à choisir dans la dernière étape de l’atelier sont 65, 75, 80, 85, 90 et 100 ans. 

Pour les matériaux principaux utilisés dans la conception de l’outil, il s’agit de la céramique (le grès) et du bois. La céramique a pour avantage de pouvoir être façonnée avant la cuisson, parfaitement adaptée notamment pour la fabrication des coupelles et des reliefs pour le toucher. Aussi, le grès est intéressant dans son aspect. En effet, il exprime une certaine fragilité et préciosité. Il garde cependant un semblant très brut et naturel. Pour le choix du bois, il s’est fait de manière naturelle. Ce matériau permet d’obtenir très facilement une structure solide mais légère. De plus, sa coupe à la découpe laser est efficace et précise.  

L’atelier s’est déroulé en deux sessions de 1 heure chacune. L’une a eu lieu le mardi 8 décembre 2020 et l’autre le 11 décembre au lycée le Corbusier. En tout, 13 personnes ont pu participer. Ils s’agissaient d’élèves de 17 à 21 ans. Mon rôle était d’expliquer le fonctionnement de l’atelier, de discuter et d’interagir avec eux. J’étais accompagnée de Mathilde Thomas pour la prise de notes, d’enregistrements et de photos durant toute la durée de l’atelier.

Le participant peut, avant tout, sentir, goûter, toucher, écouter et regarder les différents éléments de l’atelier. 

Il doit ensuite prendre dans chaque colonne, l’élément qui lui fait penser au terme vieillesse. 

Une fois décidé, il le prend et peut expliquer pourquoi avoir choisi cet élément au moyen d’un souvenir, d’une anecdote, d’une pensée ou simplement une association d’idées. Il peut faire référence à ses grands-parents ou à une idée générale de la vieillesse. L’atelier est enregistré vocalement ce qui permet à l’animateur d’interagir avec le participant. 

Toutes les pièces choisies par le participant sont rassemblées à la fin de l’atelier afin d’en garder trace au moyen d’une photo.

 

Voici quelques photos de l’atelier :

 

 

Analyse des données récoltées

Cet atelier a permis de mettre en lumière différentes visions qu’ont les jeunes de la vieillesse. Notamment les réponses à trois grandes questions : Quand est-ce qu’une personne devient âgée selon des jeunes ? Quelles sont leurs habitudes de vie selon eux ? Et globalement, comment perçoivent-ils la vieillesse ? 

Dans un premier temps, il s’agit de s’interroger sur le moment où la personne devient âgée selon un jeune. 

Souvent, les participants tendent à associer le vieillissement à la perte des capacités physiques. En effet, leurs propos étaient : “ma grand-mère a mal au genou, donc elle boite, je la considère comme vieille parce qu’elle est physiquement handicapée. Quand je la vois marcher, je vois une vieille personne qui marche” ou encore  “à partir du moment où tu es encore mobile, je n’arrive pas à considérer que la personne est âgée”. Si les capacités physiques sont amoindries, la mobilité aussi. De ce fait, il est compliqué de ne pas les considérer comme vieux dès lors que leur corps s’affaiblit. 

Les jeunes participants parlaient aussi de leur activité. Ils affirmaient : “ma mamie est jeune, elle a 70 ans et elle va au Japon, elle est vraiment jeune” , “ ma grand-mère a 75 ans et elle n’est pas vieille, elle a plein d’énergie, je dirais qu’on devient vieux à 80 ans” ou encore “je n’arrive pas à dire que ma grand-mère est une personne âgée, elle se comporte comme une jeune, elle est pleine d’énergie”. L’énergie et par conséquent l’activité sont des facteurs précisés pour définir quelqu’un de jeune. 

Le vieillissement dépend aussi de l’importance qu’on porte à l’avis de la société sur le sujet. En effet, les instances publiques définissent un seuil où l’on devient senior. On peut entendre “pour moi, la carte SNCF est pour les seniors à partir de 65 ans alors que je suppose qu’on est vieux à cet âge-là ”. C’est aussi le cas pour la retraite. Beaucoup des entretiens laissent transparaître que le seuil de la retraite est l’entrée dans la vieillesse.

De plus, pour les jeunes, la vieillesse engendre un corps marqué par le temps. Ils ont décrit des caractéristiques physiques précises : “le beige me fait plutôt penser à la couleur de cheveux de ma grand-mère” , “la vieillesse m’évoque les rides” ou “le pli me fait penser aux rides des personnes âgées”. 

Beaucoup ont aussi évoqué des situations de dépendance. Souvent, l’un des deux grands-parents est dépendant de l’autre : “mes arrière-grands-parents ne se quittent jamais, ils font tout ensemble, ils ont fait toute leur vie ensemble avec plus de 65 ans de mariage” , “si mon grand-père n’est pas là, ma grand-mère ne vit plus”. D’autres parlaient de la décision qu’avait prise la famille d’intégrer le senior dans un établissement adapté à sa nouvelle condition physique : “ça fait 2 années qu’elle est en maison de retraite et c’est même elle qui l’a demandé parce qu’elle avait fait plusieurs chutes et elle s’est faite peur” , “mon arrière-grand-mère a fêté ses 100 ans, elle a déménagé il y a quelques années dans une maison de retraite” , “quand ma grand-mère va voir mon arrière-grand-mère, elle lui fait prendre sa douche”. Souvent, les incapacités physiques du senior empêchaient à la famille de continuer à s’en occuper à domicile. 

En ce qui concerne le moment où l’on atteint la vieillesse, les réponses sont donc très différentes et dépendent de la personne en vigueur. Tout dépend des personnes concernées: “mon père a 65 ans et comme je ne le considère pas vieux, je dirais qu’on atteint la vieillesse à 75 ans”, “la vieillesse dépend des personnes”, “dans la jeunesse, on voit que la maturité ne dépend pas de l’âge, on peut avoir deux âges différents et avoir la même mentalité” ou encore “ma grand-mère a 85 ans, mais, pour moi, elle est vieille depuis que je suis née vu que c’est une grand-mère”. On observe que la vision de la vieillesse dépend avant tout de l’âge des grands-parents. 

Après s’être posé la question du vieillissement, il est intéressant de se questionner sur leur vision de la vie d’une personne âgée. Quelles sont ses habitudes ?

 

Premièrement, on peut aborder la question de la nourriture qui est récurrente. Je cite “ça me rappelle les repas que je mangeais avec mes grands-parents” , “mes grands-parents aiment trop les cacahuètes, mais ils ne peuvent pas en manger à cause du cholestérol, à chaque fois que l’on vient, ils en achètent quand même” , “je n’aime pas du tout les noix, mais ma mamie a l’habitude d’en mettre partout” , “ma grand-mère me propose toujours du thé au citron” , “mes grand-mères ne cuisinent pas trop de desserts, elles cuisinent beaucoup de grands plats” , “ma grand-mère fait beaucoup de gâteaux” , “mon papy fait du jus de pomme” , “elle fait souvent de confitures”. Le repas est essentiellement associé à la femme plutôt qu’à l’homme témoignant d’un fonctionnement patriarcal. En effet, il s’agit d’une génération marquée par un modèle familial très spécifique. Cependant, le copieux repas a été évoqué à de nombreuses reprises attestant du plaisir pris à le préparer.

De plus, la vie du senior est composée de rituels et d’habitudes, que ce soit dans leur quotidien ou en fonction des périodes de l’année. Les participantes affirment : “la cannelle, les pains d’épices, noël, ça me renvoie à ma grand-mère” , “ma grand-mère est très casanière, elle a ses habitudes, elle regarde ses petits polars à la télévision” , “souvent, je la vois aux fêtes et elle tient à ce qu’on vienne à la messe vu qu’elle est catholique, je ne suis pas croyante donc je n’y vais que quand mes parents ou mes grands-parents y vont” , “on se posait toujours sur le toit de la terrasse avec lui”. Ils associent ses habitudes avec leurs grands-parents parce qu’il s’agit souvent d’actions faites qu’avec eux. 

Ses habitudes sont directement liées à leur domicile. Beaucoup privilégient le “chez-soi” aux sorties : “ils ne sortent quasiment plus parce qu’ils se perdent” et “ma grand-mère est très casanière”. Il peut s’agir de conditions physiques compliquées ou même un manque d’envie.

Pour finir, les habitudes de vie ont souvent un lien avec la famille. Dans la majorité des cas, les participants expriment de bons moments passés avec leurs grands-parents, notamment lors des fêtes de famille. Ils font référence au côté chaleureux des seniors ainsi qu’à leur envie de partage : “la couleur orange me fait penser au côté chaleureux des grands-parents” , “ils sont toujours venus aux fêtes de famille et ça les rend trop heureux de nous voir”. Le lien familial peut aussi se faire dans le cadre du besoin. En effet, certains seniors servent de parents de substitution fortifiant ainsi la relation intergénérationnelle : “mes grands-parents s’occupent tout le temps de ma petite cousine, ils la cherchent à l’école, elle mange chez eux le midi”. 

 

En dernier lieu, il s’agit d’aborder la question d’une vision globale de la vieillesse, passant par le moral du senior. 

Certains participants décrivent le senior comme une personne aigrie, râleuse n’acceptant pas sa vieillesse : “dès que j’y vais, elle râle tout le temps, elle est tout le temps triste, elle se plaint de douleurs, je pense que parfois c’est des caprices”. 

La vieillesse se rapporte aussi beaucoup à quelque chose de négatif. Les jeunes mentionnent des aspects rugueux, ternes ou tristes en disant : “je trouve que le velours c’est une matière pour les personnes âgées” , “les draps de ma grand-mère ont une odeur spéciale” , “les couleurs vives ne me renvoient pas à la vieillesse” , “la couleur terne me fait penser à la vieillesse” , “les draps de ma grand-mère ont une odeur spéciale” , “j’imagine pas trop les personnes âgées avec des habits flash” , “les maisons de grands-parents ont des odeurs assez spéciales” , “dans les escaliers de chez mes grands-parents, il y a une vieille moquette au mur avec un vieux rose” , “le côté rugueux me fait penser aux couettes qu’il y avait dans la maison de ma grand-mère, ça grattait”. Le plus souvent, elles se réfèrent à des objets ayant des matières désagréables, des couleurs peu attrayantes ou même des espaces. 

Beaucoup se souviennent aussi d’anecdotes ou de lieux fréquentés avec leurs grands-parents : “mes grands-parents aiment trop les cacahuètes, mais ils ne peuvent pas en manger à cause du cholestérol et à chaque fois que l’on vient, ils en achètent quand même”, “je vais encore parler de ma grand-mère, mais en fait on se posait sur le toit et il y avait des raisins, mon grand-père les prenait, les lavait et nous les partageait” , “ça me rappelle les repas que je mangeais avec mes grands-parents”. Il est cependant possible de ne pas se souvenir de petits détails physiques tout en se souvenant d’histoires vécues. Un des participants affirmait “je ne me rappelle ni de la couleur des yeux ni du son de la voix de ma grand-mère”.

De plus, les jeunes réfèrent le terme vieillesse au passé. En effet, beaucoup ont mentionné des objets qui témoignent d’un décalage avec le monde actuel : “on a récupéré des affaires de son ancienne maison, dont un petit réveil vintage” , “mon grand-père d’Algérie avait toujours une radio sur lui, c’était une vieille radio qu’il avait du matin jusqu’au soir” , “ma grand-mère avait un téléphone fixe, j’ai encore en tête le son qu’il faisait” , “l’horloge ça me fait penser à mes grands-parents, pour moi, l’horloge c’est vraiment vieux” , “dans les salles de bain de grand-mère, il y a toujours un univers marin avec de la décoration super kitsch” , “dans la maison de ma grand-mère, tous les murs sont en vieux carreaux des années 70, ce n’est pas beau, ça fait vieille maison où il faut refaire la décoration”. Le décalage générationnel se voit donc non seulement dans le style d’objet, mais aussi au niveau des styles musicaux : “mes grands-parents ne comprennent pas la musique qu’on écoute actuellement”.

Vieillesse signifie aussi sagesse. Certains l’associent aux bonnes décisions ou encore aux bons conseils que les seniors donnent : “ça fait 2 années qu’elle est en maison de retraite et c’est même elle qui l’a demandé” , “mon grand-père nous dit à chaque fois de ne pas écouter trop fort pour préserver nos oreilles”.

Toutes les caractéristiques vues précédemment dépendent cependant de la classe sociale de l’individu. En effet, il n’est pas donné à tout le monde de vieillir paisiblement. L’affirmation “en plus, elle est en maison de retraite en campagne, un peu de luxe” nous montre bien que vivre en établissement pour personnes âgées est un luxe qui n’est pas donné à tout le monde.