Le rituel des cendres

✧✧✧✧✶ PRÉAMBULE ✶✧✧✧✧

Nous sommes Armand, Margaux, Léa et Laelia, quatre designers qui avons été un peu des sorcières pendant notre semaine de résidence à Goersdorf-Mitschdorf. L’essentiel de notre travail porte sur l’utilisation du feu. Nous avons imaginé un moyen de communion et d’introspection pour les habitant.e.s du village. Les goersdorfois.es sont invité.e.s à laisser derrière eux leurs renoncements au cours du Rituel des cendres. Pour cela nous avons choisi de réinterpréter le sabbat des sorcières. Il s’agit d’une fête pendant laquelle sont célébrés des rites païens. Les sorcières se réunissent de nuit dans une clairière ou dans un endroit désert, remarquable par son histoire, sa colline ou ses amas de pierres. Les sabbats ont été décrits par les détracteurs des sorcières, si bien qu’aujourd’hui nous pouvons douter de la réalité de ceux-ci. Nous nous sommes imprégné.es de l’univers populaire des sorcières et avons travaillé les artefacts tels que le chaudron et le balai qui suffisent à eux seuls à évoquer les sorcières.

 

✧✧✧✧✶ PRÉSENTATION DU RITUEL ✶✧✧✧✧

Nous avons imaginé un moyen de communion et d’introspection pour les habitant.e.s du village. Nous invitons les goersdorfois.es à laisser derrière eux ce à quoi iels renoncent au cours du Rituel des cendres. Celui-ci sera célébré lors de la première pleine lune de l’année. À la tombée de la nuit, les participantes* avancent en procession silencieuse jusqu’au feu qui brûle devant l’autel. Elles se placent en cercle autour et la guide dispose une traînée de sel autour du groupe pour les protéger. À présent, le rituel peut commencer. Une première personne s’avance et se place derrière l’autel situé près du feu. Elle prend un morceau de papier, écrit ce qu’elle veut laisser derrière elle au fusain. Elle prononce la phrase rituelle “je réduis en cendres ce à quoi je renonce” et s’approche ensuite des flammes. Elle prend la pique, fixe le papier dessus et le trempe dans un liquide vert puis le dépose dans le feu. Une flamme verte consume le papier. La personne reprend place dans le cercle après avoir posé la pique. Celle située à sa droite répète les mêmes gestes et ainsi de suite jusqu’à la dernière participante. L’enchaînement de ces déplacements se fait dans le sens antihoraire, en sorcellerie cela permet de retirer quelque chose, contrairement au sens horaire qui renforce. Enfin, la guide prend le balais, disperse le cercle de sel et les participantes se retirent.

*À partir de ce moment là du texte nous écrirons au féminin car nous estimons que toutes et tous nous jouons à être des sorcières. Nous tenons également, à la lumière de l’héritage historique des sorcières, à conserver le mot au féminin. Et si cela ne vous convient pas, vous pouvez toujours prendre en considération que ce jour-là nous étions plus de femmes que d’hommes à pratiquer le rituel. Et si cela ne vous convient toujours pas, vous pouvez toujours vous plaindre que, décidément, de nos jours, on ne peut plus rien dire.

 

✧✧✧✧✶ DÉROULEMENT DE LA SEMAINE ✶✧✧✧✧

Déroulement de la semaine

⁎⋆⁎⋆✶ LUNDI ✶⋆⁎⋆⁎

Nous voilà arrivé.es à Goersdorf, c’est tout naturellement que nous créons un chemin pour atteindre notre future clairière de Sabbat. Nous choisissons de nous approprier une étendue de trèfles sauvages ; invisible depuis l’entrée, visible depuis l’arrière du presbytère. Nous prenons nos marques puis attendons l’aval de Freddy Cuntz, le maire du village, pour choisir l’emplacement de notre futur embrasement. Nous aplatissons les herbes  en cercle et commençons à imaginer le premier dessin de notre rituel dans l’espace. Très vite, nous entamons la construction de l’autel, ainsi que la création du cratère dans lequel nous allumerons le feu. Armé.es de sécateurs, pelles et bassines nous partons en quête de terre et de végétaux. Nous trouvons du jonc, des herbes suffisamment longues et épaisses, pour confectionner la brosse de notre balai de sorcière. Nous collectons aussi de la terre d’un chantier, à l’arrière du presbytère, pour commencer notre cratère.

⁎⋆⁎⋆✶ MARDI ✶⋆⁎⋆⁎

Au milieu de la cour l’autel prend forme. Après évaluation du plus petit degré de pente du terrain, nous plaçons notre autel, il sera du côté gauche à l’arrivée des sorcières. Nous dessinons les silhouettes de plantes ramassées d’un passage de lasure sur le bois, puis arrachons les feuilles pour faire apparaître leur découpe. Désormais l’autel est marqué de son territoire. Un peu plus loin, le cratère est bien engagé. La recette est simple, il faut creuser, et récupérer suffisamment de terre dans un seau pour un demi litre d’eau et touiller. Amusée devant cette gadoue magique, Léa revit les journées d’été en vacances chez sa grand-mère. Nous étalons la boue en cercle et montons petit à petit le cratère. Il faut ajouter des branchages en lit vertical pour créer un niveau, puis rajouter de la boue, et rebelote à l’horizontal et ainsi de suite.

⁎⋆⁎⋆✶ MERCREDI ✶⋆⁎⋆⁎

Après 48h de séchage des joncs nous procédons à l’assemblage de la brosse à un charmant bout de bois biscornu qui fera office de manche. Le balai de dispersion du sel est prêt. Margaux décide de braver la pluie pour continuer à creuser et avoir assez de terre pour le cratère. Le silence, le froid et l’humidité ont malheureusement raison de son moral. Armand sentant son désarroi, prend le relais. Finalement l’ensemble avance à bonne allure et touche à sa fin. Voilà notre cratère édifié, nous enfonçons la vasque au sommet du volume pour y accueillir notre premier feu. Nous ne comptons pas le nombre d’allumettes, papiers et branchages consumés pour aider l’embrasement, finalement le feu prend, difficilement, mais il est là.

Nous consacrons l’après-midi à la finalisation des artefacts de l’autel : installation du bougeoir, sélection et découpage des papiers qui serviront à formuler les renoncements, et création du pochon de sel de protection . 

⁎⋆⁎⋆✶ JEUDI ✶⋆⁎⋆⁎

Nos premières répétitions s’opèrent, se suivent, et nous aident à ajuster la chorégraphie du rituel.Conclusion des premiers tests de nos camarades : il nous faut une solution de chlorure de cuivre plus concentrée pour obtenir un meilleur effet de flamme verte, nous devons trouver des incantations pour marquer les étapes du rituel et apporter plus de mystère mais aussi guider les apprenties sorcières. Enfin, il est impératif de trouver une solution pour réduire l’épaisseur de la fumée, gênante pour les participant.e.s.

Par ailleurs, la distance de nos professeur.e.s nous fait remarquer l’incohérence de l’esthétique de l’autel, trop délicat, avec la matière brute de notre cratère. Nous expérimentons chacun.e.s différentes manières de recouvrir le bois : terre, marc de café, charbon, cirage. Le cirage fera l’unanimité. 

C’est le grand soir. Laelia n’en peut plus d’attendre, elle saute sur place en répétant son texte en boucle. Le trac la gagne car elle sera la guide pendant la démonstration du rituel. Nous formons un premier groupe de volontaires d’habitant.e.s de Goersdorf et de quelques personnes de la classe. Tous.tes se prêtent au jeu et le moment devient solennel. Nos yeux s’habituent à l’obscurité et à la faible lueur des flammes nous laissant en présence des nombreuses étoiles cette nuit-là. L’assemblée nous regardant ne nous intimide plus, le rituel se déroule comme nous l’avions pensé.

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