Les contre-cartographies sont une occasion de travailler de manière critique avec des cartes.
“This Is Not an Atlas rassemble plus de 40 contre-cartographies du monde entier. Cette collection montre comment les cartes sont créées et transformées dans le cadre d’une lutte politique, pour la recherche critique ou dans l’art et l’éducation : des territoires indigènes en Amazonie au mouvement anti-éviction à San Francisco ; de la défense des biens communs au Mexique à la cartographie des camps de réfugiés avec des ballons au Liban ; des bidonvilles à Nairobi aux squats à Berlin ; du soutien aux communautés aux Philippines au signalement du harcèlement sexuel au Caire. This Is Not an Atlas cherche à inspirer, à documenter les personnes sous-représentées et à être un compagnon utile lorsqu’on devient soi-même contre-cartographe.” (https://notanatlas.org/book/)
Dans le cas du chapitre “Les contre cartographies: un outil d’actions”, l’auteur met en avant la façon dont sont conçues et utilisées les cartes dans différents cas de discrimination. Nous avons eu l’occasion de lire plusieurs exemples de cartographies faites en vue de dénoncer certaines injustices souvent cachées à ceux qui ne les vivent pas.
Cartographie de la lutte contre les expulsions dans la région de la bar de San Francisco
Ce projet de cartographie datant de 2013 est une visualisation de données, d’analyses et de narrations documentant l’embourgeoisement dans la baie de San Francisco. Le collectif Anti-Eviction Map étudie et analyse les prix des locations entre les différentes habitations, les expulsions géographiques ou encore les mutations géographiques. Ils communiquent leurs données sous forme de vidéos, de sondages ou d’enregistrements vocaux.
L’intérêt de ce collectif est de montrer les problèmes raciaux et sexués de l’immobilier qui existe sur la baie de San Francisco. Ils créent des contres-cartographies pour mettre en avant les personnes expulsées de leur foyer, principalement des communautés noires, latines et de classes ouvrières, ainsi que des personnes précaires en infériorité financière par rapport à la population du quartier. Tout ceci créer des inégalités que le collectif cherche à mettre en lumière au travers du recueil de différents témoignages. À ce jour, il a produit plus de 100 histoires orales et écrites. L’une de leurs principales actions se fait sous forme de mini-interview entre l’habitant et les personnes du collectif. Le collectif crée de façon collective des peintures murales, des projets de projection, des protestations, des événements communautaires et une fresque mettant en valeur des histoires de San Francisco. Un numéro est aussi mis à disposition afin d’écouter les histoires de manière orale.
Ce projet est collectif, car il permet de produire des données avec ceux qui subissent des violences de l’embourgeoisement de la baie de San Francisco. Tout cela permettra de mettre en valeur les problèmes raciaux et cela aura peut-être un impact sur la population.
Cartographie de la militarisation dans les favelas de San Francisco
Un sentiment de peur s’est installé dans la ville de Rio de Janeiro. Beaucoup de personnes noires ont été violemment attaquées par la police de façon injuste et qui, souvent, ne se limite pas seulement à des coups. Un projet a donc été créé “Militarisation des Favelas : Les impacts sur la vie des jeunes hommes et femmes noires” du Forum de la jeunesse de Rio de Janeiro, qui s’est tenues dans 15 favelas de l’État de Rio de Janeiro.
Ce projet est une cartographie sociale permettant à chaque personne voulant y participer de localiser les endroits où des injustices ont été commises à leurs égards. Grâce à la parole de chacun, ils ont pu mettre l’accent sur le racisme présent sur l’ensemble du territoire. De plus, cette carte sert donc non seulement à identifier les espaces concernés par ses violences, mais aussi à les dénoncer.
Ce projet se compose de deux étapes. La première concerne la création d’ateliers participatifs organisés par l’association du Forum Jeunesse, où de jeunes personnes, elles-mêmes victimes, mettent en place des forums de discussions dirigés sur différents thèmes. Le but étant ici de permettre à chacun de s’exprimer sur son vécu. Dans un second temps, les participants ont été invités à mettre en lumière les favelas en les représentant. Ils l’ont fait au moyen de la photo, du dessin, de la musique ou encore du collage, permettant ainsi aux habitants de retranscrire la manière dont ils perçoivent le territoire qu’ils occupent. Tous les ateliers visaient donc à déconstruire le mot “carte”.
Grâce à ces ateliers, des éléments souvent négligés ont été mis en avant. Les jeunes participants n’ont pas manqué de signaler tous les endroits communs qu’ils fréquentent pouvant aller de la crèche jusqu’aux points d’accès où des fouilles dégradantes ont été faites par la police. Le but était de permettre à toutes personnes victimes de ces injustices de s’exprimer tout en construisant collectivement une cartographie avec leurs visions des favelas servant à l’affirmation et à la revendication de leurs droits.
Après cette récupération d’informations, ils ont cherché à créer une base de données. L’application NósporNós permet ainsi de voir les différents endroits où les injustices ont été commises (abus de pouvoir, invasion de domicile, abus, violation). Cette application est devenue un outil de combat pour l’association Forum Jeunesse.
Le pays est ton pays
596 acres est une équipe qui agit pour rendre les terrains vagues accessibles et exploitables pour les habitants. Elle a débuté un travail sur la ville de New York en 2011. 660 acres de terrain étaient vacants: des terrains qui pourraient être des jardins, des espaces de jeux, des sites communautaires ou encore des espaces d’activités culturelles. Ils sont souvent situés dans des zones où les revenus sont faibles devenant ainsi des espaces enfermés et oubliés. Tout ceci augmente le nombre de problèmes pour les rénover en créant par ailleurs une négligence municipale.
Pour changer les choses, cette équipe a décidé de faire pression sur la ville afin qu’elle donne accès à des données gratuitement pour que les habitants puissent s’en servir.
Une fois cette action faite, l’équipe a mis en ligne les cartes pointant les terrains communautaires libres. En plus de cela, elle a mis en place un service de soutien incluant des conseils juridiques ainsi qu’une assistance technique. De cette manière, les habitants peuvent bénéficier d’un suivi sur la manière donc ils peuvent obtenir des droits pour la construction de bâtiments sur les terrains vacants. Grâce à l’intervention de 596 acres, 36 terrains vagues sont devenus des espaces communautaires dynamiques à New York.
Les résidents deviennent ainsi acteurs dans la ville. Le but de 596 acres est de permettre aux résidents de devenir co-créateurs avec les habitants de la ville tout en accordant une place particulière au civisme, à la participation, ainsi qu’à l’autonomie dans leur démarche de travail.
Conclusion
Le but de tous ces exemples est ainsi de mettre en lumière des données très peu prises en compte habituellement. Le designer peut en faire et s’en servir non pas “pour” les victimes de ce genre d’injustice, mais “avec” ces personnes. Les données sont ainsi personnelles, et touchent plus facilement la population visée. Le designer pourra ainsi identifier le problème, en discuter avec les personnes concernées, et trouver la manière dont il peut changer les choses.
La contre-cartographie est donc un moyen de récupérer des données sensibles, mais aussi de les utiliser pour comprendre et intervenir dans les espaces concernés.