contre-cartographie et subjectivité spaciale

La contre-cartographie

la subjectivité spatiale

 

Trois études de cas

Visualizing the Counter-Narratives of Port Said

Une expérience de cartographie de l’histoire sociale de Port-Saïd a été mise en place. Cette expérience de cartographie faisait partie des activités des Ateliers d’histoire de l’Égypte qui se sont déroulées du 27 au 30 janvier 2016. La géographie de la ville est présente dans les histoires des habitants, mais leurs chansons ou même leurs expressions quotidiennes n’ont jamais été cartographiées. L’atelier avait pour but de former de jeunes artistes militants et chercheurs aux méthodes de l’histoire sociale.

->L’objectif de la carte était de visualiser leurs découvertes sous la forme d’une carte. Les cartographes ont travaillé à la collecte des principales sources d’histoire de la ville, à des recherches dans les journaux, sur des cartes postales, dans des chansons, à travers des archives personnelles et à des entretiens d’histoire orale avec les résidents.

->En collaboration, ils ont redéfini les bases de la carte, décidant de la légende, de l’échelle, de l’étendue et des méthodes d’inscription de l’histoire sur la carte. La carte a été conçue pour offrir aux résidents un espace de partage et de visualisation de leurs mémoires en ajoutant leurs propres photos et témoignages concernant les cinq périodes historiques. Les cartographes ont décidé d’utiliser trois cartes à différentes échelles: une carte du monde, une carte de l’Égypte et enfin une carte de Port-Saïd. Certains événements ont été indiqués dans des emplacements géographie et sont développés dans un panneau chronologique. L’objectif était de réciter une contre-histoire de la ville sous différents angles. Les fils de couleurs différentes représentent chacun un thème ou une source de l’histoire sociale (archives personnelles en bleu, récits d’État en noir, environnement bâti en blanc, flux de personnes et de biens en vert, et enfin histoire culturelle vue dans les chansons et les arts en rouge). Concernant le panneau temporel, il a été codé par couleur afin de représenter différents intervalles de temps. Il a évolué naturellement à travers les participants, alors qu’ils travaillaient à montrer les histoires qu’ils avaient collectées dans leurs contextes géographiques et temporels.  La légende de cette carte -> système pour raconter chaque histoire.  

Ce travail de cartographie a abouti à une carte de broches et de fils qui se croisent et se chevauchent. Néanmoins, cela a également rendu difficile pour les spectateurs de voir la carte globale derrière les fils.

->La carte peut être lue à la fois géographiquement et chronologiquement.

-Lecture chronologique -> créer une vue d’ensemble holistique de la carte.

-Lecture géographique -> suivre l’histoire à partir d’un emplacement spécifique dans la ville.

Une contre-carte ? La carte (en termes de contenu) est une tentative de visualiser une contre-histoire de la ville; une histoire qui se construit à partir de documents d’archives personnelles, de chansons, de témoignages … À la fin de la conception de la cartographie, la carte semblait être recouverte d’un méli-mélo de fils et d’épingles colorés, ce qui rendait la lecture difficile pour les lecteurs lors de la première visualisation. Il est difficile de dire si cette expérience est une contre-carte de Port-Saïd ou non. Cette expérience montre qu’il est possible de concevoir une carte de plusieurs récits qui peuvent être lus de plusieurs façons: géographiquement, chronologiquement et thématiquement.

Textile Maps, Élise Olmedo

(This is not an Atlas, Kollektiv Orangotango+)

(This is not an Atlas, Kollektiv Orangotango+)

La carte de Élise Olmedo est le résultat d’un projet in situ en collaboration avec les femmes de Sidi Yousouff, un quartier de Marrakech. Cette carte montre la complexité des déplacements, de la vie et du ressenti de ces femmes qui dépendent de leur classe sociale et de leur genre. Réalisée à partir d’enquêtes de terrain et d’entretiens auprès des femmes, cette carte textile parle du vécu de ces dernières dans le quartier, un point de vue beaucoup plus subjectif que les cartes traditionnelles. Elle cartographie des données subjectives et non plus objectives. Cette carte est d’autant plus ancrée dans ce milieu spécifique du fait qu’elle a sollicitée pour sa création la maîtrise de savoir-faire spécifiques (broderie et couture marocaine auprès d’un tailleur local) et l’utilisation de textiles locaux. Cette carte établie donc un lien entre les connaissances géographiques et les données qualitatives, sensibles et émotionnelles de l’expérience de vie des femmes. La matérialité de cette carte permet qu’elle puisse être comprise par des publics non académiques (analphabètes par exemple), que les connaissances puissent être saisies par les sens, le touché, les ressentis. On parle alors de “compréhension tactile des expériences”. (This is not an Atlas, Kollektiv Orangotango+, p267)

 

Tyneside’s Skateworlds and Their Transformation

(This is not an Atlas, Kollektiv Orangotango+)

(This is not an Atlas, Kollektiv Orangotango+)

La carte qui nous est présentée est le résultat d’un projet avec les skateurs pour comprendre comment ils utilisent et se sont approprié leurs espaces à Tyneside, dans le nord de l’Angleterre, entre 2009 et 2010.

Pour ce faire, Jon Swords & Mike Jeffries ont demandé à ces jeunes gens de cartographier leurs mondes (croquis et gribouillis dont ils se sont servis pour être analysés). Au commencement, ils ont distribué des cartes “Mundi” à la scène des skateurs de Tyneside afin de réduire un processus de recherche trop long. Tout le monde a été impliqué (skateurs, parents, amis et autres intéressés). L’implication a été encore plus loin en incluant les photographies et les vidéos des skateurs à côté des cartes réalisées. -> La carte passe de la fonction “merci” à une œuvre d’art, un objet de beauté et de contact.

  • Sert à réduire la représentation des skateurs comme des gens indisciplinés et de faire découvrir leur monde caché.
  • La carte a permis de critiquer les cartes “autoritaires” qui excluaient les gens comme les skateurs et voulant mettre l’accent sur le patrimoine décoratif ou la consommation contemporaine.

Ce projet a permis d’illustrer le rôle de la carte comme quelque chose à examiner et à apprendre.
Cette carte est le seul document “officiel” permettant de définir leur lieu et de pouvoir naviguer dedans. Cette carte a permis aussi de mettre en avant la scène du skate (invitant davantage de skateurs et ainsi montrer que le sérieux de la carte à leur égard). La carte s’est développée avec d’autres sports (BMX). Comme le vélo permet de voyager plus loin et plus vite cela a permis de définir un plus grand territoire afin de rider de nouveaux “spots”. Ce genre de carte permet aussi de trouver des nouveaux partenaires et de nouveaux fonds.
Ici la carte conserve son rôle explicatif, mais aussi celui de mettre en lumière ce que nous sommes capables de produire.

  • Observer la transformation de la cartographie au fur et à mesure des modifications faites par les gens.

 

Synthèse

Selon notre interprétation, une contre cartographie est une carte qui permet aux utilisateurs d’un espace défini de parler de ce qu’ils vivent (ressentis, émotions, histoire) en temps qu’usagers dans cet espace.

Nous estimons que ce type de cartographie serait utile pour un designer par de nombreux aspects . Elle pourrait permettre :

  • Lors d’une enquête de terrain, aux designers de comprendre et de s’immerger dans l’espace sur lequel ils vont travailler grâce aux ressentis des habitants. Ils pourraient représenter spatialement leur analyse qualitative du terrain
  • de récupérer des data produites par les utilisateurs du lieu.
  • De cartographier des éléments qui n’ont jamais été développés sur une carte (chansons, expressions…), des données plus qualitatives, introuvables autre part que sur le terrain
  • de mettre en valeur des lieux méconnus et “délaissés” volontairement par une communauté. Ceci permettrait alors au designer de travailler sur la revalorisation d’un lieu
  • de faire changer le point de vue général sur une communauté d’individus et de faire découvrir leur monde.
  • De concevoir une carte qui puisse être lue de plusieurs façons (géographiquement, chronologiquement, thématiquement, par le toucher…) et ainsi parler à des publics variés (enfants, étrangers, différentes classes sociales …).