La contre cartographie crée une pression politique

Cartographie du harcèlement sexuel en Égypte Équipe : HarassMap – édité par Noora Flinkman

 

HarassMap est une interface virtuelle accessible via Facebook et Twitter permettant d’inscrire et de géolocaliser une agression ou un harcèlement sexuel sur toute la carte de l’Égypte par des victimes, témoins, ou témoin intervenant.

La carte permet de témoigner en quatre parties, la première étant de situer le lieu, l’heure et le déroulement du harcèlement. La deuxième est d’inscrire les détails concernant l’agression elle-même, puis la troisième de mettre le comportement adopté par la victime.

La dernière partie du témoignage est un débat ouvert sur le harcèlement en Égypte avec tous les autres utilisateurs de la plateforme. Il peut être précisé sur les rapports l’âge et le niveau scolaire ou professionnel de la victime, du témoin ou des intervenants.

Grâce à Google Map, chaque témoignage est signalé sur la carte à l’aide d’un point rouge qui lorsque vous cliquez dessus, affiche les informations complètes du rapport dans sa langue d’origine soit en arabe ou en anglais.  

À chaque témoignage Harassmap envoyé aux auteurs des informations pour accéder gratuitement à du soutien psychologique et des services juridiques.

Le crowdsourcing = méthode de collecte de données en ligne

Harassmap a publié en 2014 une étude de comparaison entre la carte traditionnelle et la carte en ligne. Ce projet a permis de démontrer que les témoignages étaient d’avantages pertinents est frappant lorsqu’ils étaient collectés sur une plateforme en ligne, car les victimes se sentaient plus libres pour donner des détails que lorsqu’elles se trouvaient face à un interlocuteur juridique.

 

 

La cartographie indigène d’Acre influence les politiques publiques au Brésil 

En 2004, un workshop d’ethnographie participative a été mis en place dans la région d’Acre, au Brésil. Le but est simple : créer des cartes avec, par, et pour les indigènes qui vivent en ces territoires. La production de ces cartes a permis au gouvernement de prendre compte de l’état des relations entre les Indiens et les “hommes blancs”, les points de conflit entre les différentes communautés, mais a aussi pu mettre en lumière des connaissances ancestrales, jusqu’alors inconnue du grand public. Les Indiens ont pu apporter leur excellente vision du territoire et de la nature environnante, nommant chaque rivière dans leur langue natale.

Les cartes produites ont eu un fort impact politique, puisqu’elles ont montré à quel point les Indiens étaient menacés par la déforestation, le braconnage et autres fléaux qui pèsent sur leur territoire. Cette mise en lumière a ébranlé le gouvernement brésilien, qui a alors mis en place des “Plans de gestion territoriale et environnementale des terres indigènes (PGTA)” visant à protéger et conserver au maximum les territoires indiens. Ce projet est donc un excellent moyen de montrer la puissance politique que peut avoir une carte. La vision des territoires indiens par les Indiens et leurs connaissances a favorisé l’échange de connaissances avec les non-Indiens, qui ont pu alors avoir une meilleure compréhension des territoires occupés par les communautés indigènes.

Un autre des effets positifs du workshop a été la production de kits éducatifs, manuels scolaires et autres outils pédagogiques en langue indienne. Les écoles indigènes ont pu être équipées de ces outils, et permettre aux enfants de retourner à leurs racines, émoussées par la culture dominante de “l’homme blanc”. 

 

 

Faire des cartes pour nous – À Valparaiso au Chili

En avril 2014, à Valparaiso au Chili, un feu consume plus de 3 000 lieux de vie en son sein. Peu après un atelier de cartographie collective est organisé afin de représenter cette ville de façon subjective pour mettre en avant et sensibiliser ses citoyens à ses problèmes majeurs. La diversité de ses participants permet d’obtenir des avis hétérogènes sur les lieux et d’aboutir à une vision critique des choix faits pour la ville par ses institutions publiques. Ces dernières sont avant tout néolibérales et agissent sans prendre en compte l’entièreté de sa population, en plongeant une partie dans la précarité.

Ce travail aboutit à un large poster nommé “Did I invite you to live here ?” (T’ai-je invité à vivre ici ?). Ce titre fait référence à la réponse du maire de la ville envers les victimes du feu arrivé peu avant l’atelier de cartographie. Ce poster montre que la politique de la ville a effectivement amené ces personnes à habiter ces logements précaires lorsqu’elle a décidé de privilégier la privatisation de l’espace public, la spéculation foncière et immobilière, la gentrification des quartiers et le financement de grandes entreprises. Ces choix faits créent une ville à deux facettes, avec un côté riche et rayonnant qui est mis en avant, et un autre pauvre qui est laissé pour compte. Cependant, cette carte montre également des espaces communs et inclusifs, avec une communauté mixte et solidaire, peuplée d’étudiants, d’enseignants, de travailleurs et de militants, qui cherchent à transformer la ville.

Ce poster fini a été imprimé, distribué à ceux qui en voulaient et placardé sur les murs de la ville. Les organisateurs de ce projet sont également intervenus dans des universités et ont participé à une exposition du musée d’art contemporain de Santiago. Ils prévoient également de réitérer ce type d’atelier en se focalisant sur un nouvel enjeu : l’eau dans la ville. Cette ressource commence à se faire rare et risque de poser des problèmes futurs. Accompagnés de géographe et d’une vaste communauté, ils comptent donc s’interroger sur la vie qu’ils souhaitent induire pour les citoyens de Valparaiso, en fonction de la gestion faite de cette ressource. 

 

 

Hypothèses d’utilisation de la contre-cartographie dans des projets de design

 

La contre-cartographie est également un moyen d’aboutir à des projets de design, car elles questionnent des enjeux actuels, politiques ou environnementaux. Elle s’oppose à la cartographie traditionnelle, et propose une nouvelle vision des choses. Suite à ces trois études de cas, nous avons cherché des problématiques de projet dans lesquels la contre-cartographie pourrait être sollicitée. 

1. Un moyen d’expression pour tous les citoyens qui permet d’apporter un regard critique sur les politiques publiques

  • Prévenir de dangers laissés pour compte par les politiques communes

Ex projet design : géolocaliser les espaces d’agressions homophobes dans la ville de Strasbourg, pour permettre aux victimes d’éviter les espaces où les regroupements de haine sont les plus courants.

  • Solidariser, sensibiliser à des sujets tabous en société

Ex projet design : géolocaliser les espaces d’agressions homophobes dans la ville de Strasbourg, pour permettre aux victimes, témoins et témoins actifs de témoigner et de dénoncer les violences et discriminations publiques. Cette plateforme pourrait donc permettre de libérer la parole et de créer le débat autour de l’homophobie croissante en France.

2. Répondre à des enjeux en incorporant la dimension d’espace

  • La contre-cartographie permet à tous les citoyens de s’exprimer sur des enjeux en partant du point de vue de l’espace. Cette vision est enrichissante pour les différents projets de design.

Ex projet design : la vision dans l’espace des citoyens de Valparaiso à propos de la gestion de l’eau pour réfléchir à de meilleurs moyens de la répartir

3. Créer du lien social à partir d’un point d’accroche : un espace commun partagé

  • Un moyen d’échanger des cultures, savoirs, connaissances 

Ex projet design : mise en place d’un atelier interculturel aux États-Unis pour partager les connaissances des différentes cultures issues de la colonisation, de l’esclavage, et de la cohabitation avec les Indiens et les Mexicains. Comment toutes ces cultures cohabitent-elles ? Quels espaces occupent-elles ? Quels souvenirs et histoires attribuent-elles à leur espace ?

  • Un moyen d’échanger des vécues, des souvenirs, des affectes

Ex projet design : un café intergénérationnel dans le quartier d’une ville pour créer du lien entre les anciens et nouveaux habitants. Partager les anecdotes et histoires associées à un espace, un banc, un parc, la nuit dans un café.  Comment permettre à des habitants de transmettre l’histoire émotionnelle et poétique de leurs espaces ?

  • Montrer des conflits politiques sous différents points de vue ou des conflits tabous

 Ex projet design : Exposer l’opinion d’un habitant de l’Amazonie sur l’occupation de son espace, la faune et la flore et la vision d’un PDG d’entreprises spécialisées dans la vente d’huile de Palme. Comme selon lui la forêt est-elle occupée ? Comment va-t-il nommer et situer la faune et la flore ? Comment un habitant d’Amazonie va-t-il lui inscrire son espace sur une carte ?