Qu’est-ce-qu’un paysage sonore?

/// Comment conscientiser les bruits ambiants? – Pauline Desgrandchamp, doctorante en Design, laboratoire ACCRA

Si un bruit te dérange, écoute-le ! (John Cage, 2004)

 –paysage, de quoi on parle?

Le paysage en tant qu’approche permettrait de révéler autrement le milieu dans lequel, nous – usager -évoluons : paysage urbain, paysage rural, paysage sociétal, paysage culturel, paysage social, etc. Pour les chercheurs géographes et urbanistes contemporains, le paysage facilite effectivement la compréhension du milieu “écosophique” (Guattari, 1985, 2009) en se fondant sur son ambiance sensible (CRESSON, 1991) :

Construit historiquement au contact de la peinture, le paysage a longtemps été compris comme une représentation d’une histoire (Cauquelin, 2004, Bercque, 2008) plutôt qu’un véritable récit en tant que processus narratif (Voir d’ailleurs la lexicographie du mot). Aujourd’hui, on tend à l’appréhender comme une approche multi-sensorielle favorisant autant la compréhension d’un paysage image, d’un paysage sonore, d’un paysage odorant, etc (Manola, 2011), ce qui permet effectivement de le concevoir non plus comme une finalité esthétique mais bien comme une méthode fondamentale sur laquelle le chercheur peut s’appuyer afin de déduire des usages, des fonctionnalités et des identités des lieux habités…

 

-paysage sonore, une méthode de recherche en Design?

R Murray Schafer, créateur du paysage sonore ou soundscape (1978), le conçoit ainsi comme une composition de différents plans sonores évoluant au gré du moment, du milieu, du climat… en débordant du cadre de la représentation esthétique vers la perception multi-sensorielle. Il en différencie deux types : le paysage sonore vécu, celui qui se diffuse in situ et le paysage sonore fabriqué, celui qui est modifié, transformé, traduit par le designer pour construire un récit inédit…

Le paysage sonore, vécu et fabriqué, se décompose ainsi en différents plans à l’instar du paysage visuel (premier plan, arrière plan etc) tout en se saisissant comme une approche globale écologique. À l’inverse du paysage visuel, il ne se range pas dans un cadre, il en déborde. On dit d’ailleurs que “l’ouïe n’a pas de paupière” (CRESSON, 2013). La notion de bruit en devient ainsi une possible représentation : émis par les autres, il est qualifié de nuisant ou de dérangeant puisqu’effectivement on ne le maîtrise pas soi-même. Conceptualiser un paysage en sons, c’est ainsi permettre de faire évoluer notre propre relation au bruit, compris dès lors en tant que trace, témoignage et identité de ce qui peut se dérouler dans un lieu, un environnement.

Le paysage sonore peut ainsi être abordé à l’instar de l’objet sonore (Schaeffer, 1966) en tant que perception, plasticité et usage social à la seule différence que ces trois actions ne sont pas différentiables dans le paysage sonore : L’interprétation devient ainsi une des clé de lecture, permettant à tout un chacun d’évoluer vers sa propre définition et conception de la méthode (Murray Schafer, 1978, 2010).

Augustin Berque, La pensée paysagère, Archibooks, coll. Crossborder 2008.
John Cage, Silence, éditions Denoel, 2004.
Anne Cauquelin, L’invention du paysage, édition PUF, « quadrige », 2004.
CRESSON : Jean-François Augoyard, Henry Torgue, À l’écoute de l’environnement : répertoire des effets sonores. Editions Parenthèses, 1995.
Felix Guattari, Qu’est-ce-que l’écosophie?, éditions Lignes, 1985, rééditions 2009.
Théa Manola, « Conditions et apports du paysage multisensoriel pour une approche sensible de l’urbain. Mise à l’épreuve théorique, méthodologique et opérationnelle dans 3 quartiers dits durables européens: WGT, Bo01, Augustenborg », sous la direction de Chris Younès (CNRS, LAVUE, Gerphau, ENSAPLV) et Gabriel Faburel (Lab’Urba IUP UPEC), 2012.
R. Murray Schafer, The tuning of the world traduit en français par Le paysage sonore, toute l’histoire de notre environnement sonore à travers les âges, 1978 traduction révisée de Sylvette Gleize, préface de Louis Dandrel, Le paysage sonore, le monde comme musique, édition Wildproject domaine sauvage, 2010.
Pierre Schaeffer, Traité des objets musicaux, éditions Le Seuil, 1966.

 

/// Retour d’expérience : balade sonore analytique de la Presqu’île Malraux, 8 et 9 septembre 2016 – Lena Vercellone, étudiante DSAA 2 et Pauline Desgrandchamp, 

Séparé en deux groupes le jeudi après-midi pour les uns et le vendredi matin pour les autres, il s’agissait de vivre une balade analytique ponctuée de plusieurs points d’ouïe, utiles à la compréhension globale de ce paysage sonore complexe (Morin, 1990).

  • Première expérience : analyse du paysage sonore environnant de la Presqu’île Malraux. À partir d’un questionnaire analytique révélant les trois notions relatives à l’objet : perception, plasticité et usage social, les étudiants ont pu découvrir et décomposer le paysage sonore vécu en plans narratifs composés (expérience vécue à 9H30 et/ou 15H).
  • Ensuite, il s’agissait d’écouter différents types d’effets sonores repérés au préalable et construits par le truchement de l’architecture et résonance des matériaux utilisés sur la presqu’île : Un écho flottant sous l’auvent du môle Seegmuller et la masse architecturale du bâtiment de la médiathèque Malraux, le tout toujours à l’oreille.
  • Puis l’étape suivante : d’un côté, l’écoute du paysage sonore vécu à travers un microphone directionnel transformant une ambiance en une autre plus marquée et électrique ; et de l’autre, l’écoute d’un paysage sonore fabriqué, une phonographie (sorte de photographie en sons) réalisée à partir de micros binauraux, transformant l’expérience d’écoute par déstabilisation du corps écoutant.
  • Après, direction le centre commercial Rivetoile afin de proposer cette fois une écoute politique du lieu : espace privatif, il est également lieu du public. En quoi la musique émise sur place y crée un message stratégique? En quoi la musique influe sur les comportements des usagers ? Le son qui pousse à l’achat… Le son qui fait prendre le temps… Le son qui rassure…
  • Pour terminer vers une écoute active de la salle du patrimoine, troisième étage de la Médiathèque Malraux, à la rencontre de l’empreinte sonore d’un espace architectural symbolique : conçue comme une sorte de cathédrale de l’archive patrimoniale, cette salle, sorte de boîte dans la boîte, y propose un son brut, solennel et religieux. En quoi un bruit de fond, ici un bruit de climatiseur, peut-il être interprété autrement que comme une nuisance?